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Couronne de Fer

L'ordre de la Couronne de fer, fonctionnement, missions et composition sous le règne de Napoléon Ier

Le fonctionnement, les conditions d'admission et la composition mêmes de l'ordre de la Couronne de fer furent établis de manière à compléter les messages impériaux délivrés par l'insigne. Fruits de maintes influences liées tant à l'ancienne France qu'au contexte politico-diplomatique de 1805, chargés de multiples missions, les statuts de cet Ordre forment un ensemble original, témoin tout à la fois de la conception napoléonienne de l'imperium, de la place de l'Italie dans le Grand Empire mais aussi des modes de représentation du pouvoir choisis par Napoléon.

Certes, l'Empereur, fidèle à son processus d'unification administrative des pays conquis, fonda l'ordre de la Couronne de fer sur la même valeur que la Légion d'honneur, c'est-à-dire l'honneur issu d'un service rendu à la nation. « Afin d'assurer par des témoignages d'honneur une digne récompense aux services rendus à la Couronne tant dans la carrière des armes que dans celle de l'administration, de la magistrature, des lettres ou des arts, fit-il préciser dans l'article LIX du IIIe statut constitutionnel, il sera institué un ordre sous la dénomination d'Ordre de la Couronne de Fer », qui compta aussi bien des Italiens, des Français que des ressortissants d'autres pays européens

Tout aussi bien convaincu de la soif d'égalité des peuples, il pratiqua une différenciation du port des insignes entre les différents grades moins évidente à l'œil que celle qui était habituellement adoptée par les ordres de mérite des monarchies avoisinantes ou par l'ancienne France pour les commandeurs . Ainsi, selon les statuts, les chevaliers de l'ordre de la Couronne de fer portaient leur insigne « en argent, attaché au côté gauche », les commandeurs « en or, attachée de même », les dignitaires « au cou et en sautoir ». Le port de l'insigne prescrit pour les commandeurs rappelait celui de l'étoile d'or indiqué pour les officiers, commandants et grands officiers de la Légion d'honneur.

Il dota par ailleurs sa nouvelle institution d'outils, règlements et privilèges qui avaient fait leurs preuves en France depuis trois ans, au sein de la Légion d'honneur. Ainsi, un chancelier, le comte Marescalchi, ministre italien des Relations extérieures et un trésorier, le comte Aldini, ministre secrétaire d'État, administraient les membres et la dotation de l'Ordre, cette dernière visant à verser un traitement aux chevaliers, commandeurs et dignitaires, ainsi que l'indiquent les articles suivants du IIIe statut constitutionnel : [Art.] « LXXIII. Il sera affecté à la dotation de l'Ordre un revenu de 400 000 livres de Milan sur le Monte Napoleone [soit la dette publique]. [Art.] LXXIV. Les membres de l'Ordre jouiront d'un traitement annuel , savoir : Pour les chevaliers, de 300 livres, pour les commandeurs, de 700 livres, pour les dignitaires, de 3 000 livres ». Napoléon créa également un Grand Conseil d'administration composé des dignitaires qui, essentiellement honorifique, n'exerça aucun pouvoir sur les nominations, tel le grand conseil d'administration de la Légion d'honneur après le 18 mai 1804.

Dans le principe, les modalités d'admission dans l'ordre de la Couronne de fer furent calquées sur celles pratiquées pour la Légion d'honneur : Marescalchi soumettait à l'Empereur les propositions italiennes recueillies par ses bureaux et les candidatures françaises transmises par la grande chancellerie de la Légion d'honneur. Cette règle de base souffrit néanmoins de nombreuses exceptions, soit parce que des candidats exposaient eux-mêmes leurs mérites à l'Empereur, soit parce que le souverain nommait directement des membres de l'Ordre, à l'occasion d'une bataille par exemple

Enfin, comme les chevaliers de la Légion d'honneur, les chevaliers de la Couronne de fer obtinrent un privilège après l'établissement de la noblesse d'Empire : par le VIIe statut constitutionnel du 21 septembre 1808, il fut édicté que « les chevaliers de l'ordre de la Couronne de fer porteraient le titre de chevalier du royaume, à condition de justifier de la possession d'un revenu net de 3 000 livres »

Mais les ressemblances statutaires entre l'ordre italien et l'institution française s'accompagnent de différences notables. Dans un contexte politico-diplomatique modifié par rapport à celui de 1802, Napoléon s'autorisa dès 1805 à raviver pour la Couronne de fer une terminologie et des éléments structurels qui infléchirent nettement la base « révolutionnaire » vers l'Ancien Régime.

Devenu Empereur et roi, il ne craignit plus d'appeler « Ordre » sa nouvelle institution, d'en déclarer « grand maître » les rois d'Italie et de nommer lui-même, comme Louis XIV les membres de l'ordre de Saint-Louis, les « cinq cents chevaliers, cent commandeurs et vingt dignitaires » prévus initialement , renonçant toutefois au nom de « grand croix » pour les titulaires du plus haut grade de l'Ordre.

La formule même du serment, destinée entre autres à lier l'élite italienne au nouveau dirigeant, puisa son inspiration dans les serments prêtés par les membres des ordres d'Ancien Régime, plus que celui prêté entre le 1er janvier 1805 et le 20 mars 1811 par les membres de la Légion d'honneur. De fait, ceux-ci juraient de se « dévouer au service de l'Empire, à la conservation de son territoire dans son intégrité », et en troisième lieu seulement, « à la défense de l'Empereur, suivie de celle des lois de la République et des propriétés qu'elles ont consacrées ». De leur côté, les chevaliers de la Couronne de fer prononçaient la phrase suivante : « Je jure de me dévouer à la défense du Roi, de la Couronne et de l'intégrité du Royaume d'Italie, et à la gloire de son fondateur », inspirée entre autres du serment des titulaires de l'ordre de Saint-Louis qui juraient fidélité et obéissance au roi, en s'engageant aussi à défendre la Couronne.

Napoléon s'enhardit même à emprunter des coutumes et organes de fonctionnement remontant aux ordres de chevalerie tels les ordres français de Saint-Michel et du Saint-Esprit, respectivement créés en 1469 par Louis XI et en 1578 par Henri III. Ainsi, le port de la décoration en sautoir stipulé dans les statuts pour les dignitaires rappelait le port primitif de l'insigne de l'ordre du Saint-Esprit. Par ailleurs, la prescription de la tenue d'un chapitre le jour d'une fête et dans un lieu religieux, pendant lequel se dérouleraient les nominations et réceptions des membres selon un cérémonial réglé, seraient prononcé l'éloge des chevaliers décédés dans l'année et rappelés les fondements de l'Ordre, représentait un ensemble de règles directement tirées d'articles des statuts des ordres de Saint-Michel et du Saint- Esprit. Certes, dans l'arrêté du 13 messidor an X (29 juillet 1802) relatif à l'organisation de la Légion d'honneur, le Premier consul avait prévu « une séance extraordinaire, [à tenir alternativement dans chaque chef-lieu de cohorte] dans le semestre d'été, [où serait proclamées] les nouvelles promotions et [reçu] solennellement le serment des nouveaux légionnaires » tandis que serait aussi prononcé l'éloge des membres de la Légion décédés dans l'année. Mais il ne conforma jamais cette clause réglementaire aux cérémonies chapitrales des ordres d'Ancien Régime comme il le fit pour l'ordre de la Couronne de fer, ainsi qu'en témoignent les textes suivants :

Napoléon décida en effet que « [Art] LXVII. Chaque année, au jour de l'Ascension, il sera pourvu aux places vacantes. [Art.] LXVIII. Tous les chevaliers, commandeurs et dignitaires se réuniront ledit jour en chapitre général, dans l'église métropolitaine de Milan ; aucun ne pourra être dispensé d'y assister sans avoir fait agréer les motifs de son absence au Grand Conseil dont il sera parlé ci-après. [Art.] LXIX. Les nouveaux chevaliers prêteront serment en chapitre général et il sera procédé à leur réception conformément au cérémonial qui sera réglé. [Art.] LXX. L'éloge historique de ceux des membres morts pendant l'année sera prononcé pendant cette solennité. L'orateur fera l'histoire des nouveaux services qu'ils auront rendus depuis leur nomination. Il rappellera les principes sur lesquels l'Ordre est fondé et les circonstances qui ont précédé sa fondation ». Enfin, [Art.] « LXXVI. ... un maître des cérémonies [sera choisi] parmi les commandeurs, deux aides des cérémonies parmi les chevaliers...

En outre, l'Empereur, soucieux de sa Cour italienne, préoccupé de l'idée d'aristocratie, introduisit des distinctions entre les membres de l'Ordre, indépendantes de leurs grades. Primo, il destina « pour le revenu de cette dotation, une somme annuelle de 100 000 livres pour les pensions extraordinaires que le grand maître jugera à propos d'accorder à des chevaliers, commandeurs ou dignitaires. Ces revenus seront à vie ». Secundo, il réserva une place spéciale dans l'Ordre à certains Français : « Deux cents places de chevaliers, vingt-cinq de commandeurs et cinq de dignitaires sont affectées spécialement, pour la première formation, aux officiers et soldats français qui ont pris une part glorieuse aux batailles dont le succès a la plus contribué à la fondation du royaume ». Le premier article rappelait les pensions que l'Empereur versait aux membres de la Cour impériale, manifestation de son pouvoir absolu sur les hommes exercé entre autres par le biais de leur mise en tutelle financière, qu'il entendait pratiquer aussi en Italie. Le second était bien entendu destiné aux Italiens, traduction dans les faits du message délivré à leur intention par l'insigne : ne devant leur « liberté » qu'à la France, ils lui étaient entièrement assujettis. La place même de l'ordre de la Couronne de fer dans le système de récompense napoléonien le disait : l'institution ne fut jamais considérée comme un ordre étranger , rappelant ainsi que l'Italie était un élément constitutif majeur de l'Empire. Mais, avec le recul du temps, cet article a une autre connotation. Distinguant nettement certains membres militaires de la Couronne de fer parmi d'autres, il peut sembler les prémices de l'idée impériale de créer à terme une aristocratie militaire formée de combattants plus méritants que les autres, annonciateur de la fondation de l'ordre des Trois Toisons d'or en 1809.

En tout cas, un tel ensemble de partis pris, trois ans seulement après la création de la Légion d'honneur, pose question : pourquoi tout cet appareil d'ancien temps ? À la lumière du contexte de 1805 et des fonctions habituellement assignées aux ordres de récompense, il est possible de penser que le souci de fournir des gages de paix au concert des nations, adjoint à l'obsession d'affirmer la légitimité de son pouvoir à l'Europe entière, motiva en bonne part le choix de Napoléon, à une époque où il entretenait l'espoir de n'avoir comme adversaire que l'Angleterre.

De fait, les institutions de récompense constituent un des codes du langage diplomatique. Les échanges d'insignes d'égale valeur sont une des coutumes inscrites depuis le Moyen Âge dans les relations de deux pays amis. Or, pour pouvoir converser et se comprendre, il est nécessaire de parler la même langue. Napoléon était entouré de monarchies dont les institutions de récompense étaient d'autant plus conformes à celles de l'ancienne France qu'elles avaient bien souvent prises pour modèle ces dernières depuis le XVIe siècle. Ainsi, l'ordre chevaleresque russe de Saint-André avait été fondé par Pierre Le Grand sur le modèle de l'ordre du Saint-Esprit, le plus grand ordre de chevalerie français ; l'ordre autrichien de Marie-Thérèse avait reçu des statuts inspirés de ceux de l'ordre de Saint-Louis, premier ordre de mérite du royaume de France. De la sorte, sous l'Ancien Régime, colliers ou grands cordons pouvaient circuler entre pays en paix. Entouré de royaumes et d'empires d'origine médiévale, Napoléon se trouvait donc dans la nécessité de conformer ses récompenses à celles de ses voisins s'il voulait entretenir avec eux des relations diplomatiques complètes. Par ailleurs, l'infléchissement monarchique des formes de son pouvoir, qui marquait aussi sa légitimité en l'enracinant dans l'héritage et la continuité historique, ne pouvait selon lui que rassurer les nations continentales sur le devenir politique de l'Europe : « J'ai montré que je veux fermer la porte aux révolutions. Les souverains me doivent d'avoir arrêté le torrent de l'esprit révolutionnaire qui menaçait leurs trônes... », Aima-t-il à rappeler

La création de la grande décoration de la Légion d'honneur, le 30 janvier 1805, résulta entre autres de ces préoccupations – conservation de la paix continentale, mise en conformité des formes du pouvoir et affirmation de sa légitimité, soucis majeurs de Napoléon depuis le sénatus-consulte du 18 mai – comme l'indiquent les paroles de l'Empereur prononcées le 21 pluviôse an XIII, et une lettre envoyée à Talleyrand le 6 juin 1805, soit le lendemain de la création de l'ordre de la Couronne de fer.

« Messieurs, dit-il aux premiers récipiendaires des grands cordons de la Légion d'honneur, cette grande décoration a aussi un but particulier, celui de lier à nos institutions les différents États de l'Europe, et de montrer le cas et l'estime que je fais, que nous faisons, de ce qui existe chez les peuples nos voisins et nos amis ». Puis, à Talleyrand, il expliqua : « ... comme rien ne serait plus propre à me donner la mesure exacte des dispositions de la Cour de Vienne que d'entamer une négociation dont l'objet serait d'échanger un certain nombre de grands cordons de la Légion d'honneur contre des cordons des ordres d'Autriche, écrivez à M. de La Rochefoucauld de dire à M. Cobenzl que, pendant mon séjour à Milan, j'ai reçu les cordons des ordres de Prusse, de Bavière et de Portugal, que je vais recevoir incessamment les ordres d'Espagne, qu'ainsi l'Autriche se trouve presque la seule des grandes puissances du continent qui n'ait point fait un échange des cordons de ses ordres ; et que, ne voyant aucune raison à une exception qui semblerait marquer de l'éloignement, je suis disposé à proposer quelques grands cordons de la Légion d'honneur en échange d'un pareil nombre de cordons des ordres d'Autriche [...] Vous ordonnerez à M. de La Rochefoucauld de vous [...] faire connaître, par la voie la plus prompte et la plus sûre, les mouvements extraordinaires qui s'opéreraient dans les armées autrichiennes » .Napoléon attachait ainsi une grande importance à l'échange des cordons, manifestation de l'amitié et de la reconnaissance des peuples à son égard.

Habité par de telles préoccupations dans la première moitié de 1805, et n'ayant par ailleurs plus à cacher aux Français ni à qui que ce soit la nature monarchique de son pouvoir, il trempa d'Ancien Régime les statuts de l'ordre de la Couronne de fer tout en conservant la base égalitaire issue de la Révolution. Tel que, il espérait bien pouvoir échanger les insignes de la nouvelle institution avec les autres maisons régnantes : « Les princes de la maison du grand maître, les princes des maisons étrangères et les autres étrangers auxquels les décorations de l'Ordre seront accordées ne compteront point dans le nombre fixé par l'article LXII », prévit-il dans l'article LXXII du IIIe statut constitutionnel, conforme à la coutume d'Ancien Régime  Cependant, il y avait dans l'esprit de l'Empereur une exception à l'utilisation diplomatique de la Couronne de fer, qui se manifesta concrètement lors du mariage autrichien de 1810. À cette occasion, Napoléon envoya en signe d'amitié plusieurs cordons de la Légion d'honneur à François Ier, mais il écrivit dans le même temps à Champagny, ministre des Relations extérieures : « Quant à la Couronne de fer, je vous dirai confidentiellement que je ne désire pas la donner aux Autrichiens ; je préfère leur donner des croix françaises » Souci de ménager la susceptibilité de 'ex-empereur germanique ? Désir d'affirmer sa possession sans partage de l'Italie du Nord, élément clé des empires européens ? Napoléon passa néanmoins outre ses scrupules, puisque des “ sujets et fonctionnaires autrichiens ” reçurent l'insigne de l'ordre de la Couronne de fer avant 1814.

Quoi qu'il en soit, l'institution italienne, conforme au désir prégnant de Napoléon d'unir Ancien Régime et Révolution, coulée dans le moule des institutions post-consulaires au moment où l'Empereur pouvait imposer pleinement ses volontés, forme un ordre de récompense à l'identité clairement lisible. Fort de son expérience française, l'Empereur ne lui assigna pas, comme à la Légion d'honneur des premiers temps, des missions habituellement étrangères à ce type de « corps », telle la surveillance politique ou l'exemplarité économique

D'autre part, on peut considérer que la Couronne de fer contient en germe une bonne partie de l'évolution du système de récompense décliné entre 1805 et 1814 : ordre de mérite accessible aux civils et aux militaires, elle n'en posséda pas moins une grande maîtrise attachée au titre de Roi d'Italie, à l'instar de celles des futurs ordres des Trois Toisons d'or, attachée au titre d'Empereur , et de la Réunion, réservée à l'Empereur et à ses successeurs , mais contrairement à la « direction » de la Légion d'honneur qui fut attachée par la loi de création à la fonction de « chef de l'État français » Divisée en trois grades, elle contint parmi ses membres une classe de privilégiés militaires, dans laquelle il est possible de voir la préfiguration de l'ordre des Trois Toisons d'or qui, s'il avait été distribué, aurait récompensé des combattants de mérites particuliers, destinés à former une aristocratie militaire.

Napoléon aima particulièrement cette récompense. Il en porta toujours l'insigne avec lequel il fut enterré à Sainte-Hélène. Même si elle rétrograda du second au quatrième rang dans l'ordre des récompenses impériales, au fur et à mesure que le système de récompense se structurait, elle resta toujours la première dans son cœur après la Légion d'honneur, tant les deux insignes associés sur sa poitrine lui rappelaient sa gloire et la nature « romaine » de l'État qu'il aurait voulu transmettre à son fils. Ne disait-il pas après avoir réuni les État de Rome à l'Empire : « Que fera Napoléon de cet ancien patrimoine des Césars ? L'histoire l'indique, [...] il rassemblera les parties trop longtemps séparées de l'empire d'Occident ; il régnera sur le Tibre comme sur la Seine » Napoléon-François-Charles-Joseph, roi de Rome comme le « dauphin » de l'Empereur germanique l'était des Romains, fils du nouvel Empereur d'Occident et petit-fils de l'ancien, aurait uni en lui les deux mondes, asseyant sur son splendide héritage une légitimité que personne n'aurait jamais pu lui contester, parachevant ainsi l'œuvre de son père , dont les efforts désespérés pour être reconnu comme leur égal par les souverains d'Europe prouvait chaque jour le contraire. Isabey avait fort bien compris le rêve impérial, qui représenta le petit prince paré des cordons de la Légion d'honneur et de la Couronne de fer, symboles de l'avenir que son père lui construisait

Napoléon dut pourtant devant la destinée mettre un genou en terre le 11 avril 1814. Jamais il ne transmettrait d'Empire et de royaume. Ce jour-là, vaincu aussi bien par ses ennemis de l'intérieur que par les puissances alliées, il renonça pour lui et ses héritiers aux trônes de France et d'Italie L'édifice territorial s'écroula dans son entier. Les frontières rognées, les pays annexés ou vassaux « libérés », le Grand Empire redevint la France de 1789. Le Congrès de Vienne, qui permit à l'Autriche de former le royaume de Lombardie et Vénétie sur l'essentiel de ses anciennes possessions retrouvées, ne put cependant effacer d'un trait de plume l'empreinte institutionnelle, administrative et « nationale » laissée par Napoléon dans chaque pays occupé. En Italie du Nord, un « sentiment renforcé de la communauté italienne, l'habitude de vivre ensemble, la fierté de se savoir capable de modernité » était visible dans les provinces de l'ex-royaume napoléonien qui, pour la première fois depuis des siècles, connaissaient une administration et des institutions unificatrices et cohérentes. Par ailleurs, si l'emprise napoléonienne fut peu regrettée, la férule autrichienne n'enchanta pas pour autant la population, et tout particulièrement les tenants d'une Italie unie et indépendante dont le règne napoléonien avait renforcé la Couronne de fer comme symbole. Enfin, des Autrichiens avaient été admis comme membres de la Couronne de fer. Dans ce contexte, l'Autriche ne pouvait faire table rase du passé immédiat

Les Autrichiens et la Couronne de fer
Certes, la tentation était grande. Laver l'affront dans la gloire, effacer quinze ans d'humiliation par une victoire totale... Dès la fin du mois d'avril 1814, le chef de l'archimaison d'Autriche, devenu roi de Lombardie et Vénétie n'eut de cesse de relever son honneur bafoué dans un pays témoin de sa puissance d'antan. Mais, prudent, il agit avec circonspection sur le plan des symboles.

Il ne supprima par l'ordre de la Couronne de fer. Il conserva aux membres existants le droit de porter une marque extérieure mais ne procéda à aucune nomination. Il mit ainsi l'Ordre en sommeil. L'insigne créé en 1805, interdit graduellement, fut finalement remplacé par un autre plus conforme à la nouvelle monarchie que les titulaires de l'ordre napoléonien devaient réclamer aux autorités viennoises. Une procédure officielle définitive de demande de remplacement fut établie le 12 février 1816, qui se traduisit comme suit : les titulaires de l'ancien Ordre devaient solliciter leur nouvelle décoration auprès de la Cour de Vienne , lettre de nomination et ancien insigne à l'appui, via le grand chancelier de la Légion d'honneur relayé par le ministre des Affaires étrangères français et l'ambassadeur d'Autriche en France. Une fois ces formalités accomplies, Vienne envoyait en principe les insignes de remplacement à l'ambassadeur d'Autriche en France qui les confiait au ministre des Affaires étrangères français. Ce dernier les mettait alors à la disposition du grand chancelier de la Légion d'honneur, à charge pour lui d'entamer auprès du roi, pour le compte des titulaires, une procédure de demande d'autorisation de porter cet insigne devenu étranger, conformément à l'ordonnance du 19 juillet 1814 . Quand toute la procédure était terminée, les membres de l'Ordre recevaient leur nouvel insigne. In fine, d'après la Gazette de Milan du 12 février 1816, les titulaires de l'Ordre sous-officiers et soldats reçurent une médaille portant à l'avers une épée en pal et au revers la devise Pro virtute militari. En revanche, les membres ayant le rang d'officiers militaires durent échanger leurs décorations, pour les chevaliers, contre un insigne en argent formé d'une Couronne de fer inspirée de celle de Monza, surmontée de l'aigle bicéphale et de la couronne impériale, attachée à l'ancien ruban de boutonnière ; pour les commandeurs, contre un insigne d'or de dessin et de port identique ; pour les dignitaires, contre un insigne suspendu à un ancien cordon assorti d'une nouvelle plaque à huit pointes formée de rayons ornée en son centre d'une Couronne de fer entourée d'une couronne de laurier.

Cette procédure dont l'Autriche limita le temps de pratique au 1er février 1820, occasionna quelques déboires. Certains, ayant réclamé le remplacement de leur insigne après cette date, se trouvèrent déboutés, comme par exemple les radiés du 24 juillet 1815, rentrés trop tard en France pour effectuer leur demande. D'autres, tels les membres jugés trop bonapartistes, les décorés d'avril 1814 jamais brevetés ainsi que ceux qui avaient perdu leur lettre de nomination, furent refusés. Mais au moins, nombre de membres de l'ancien Ordre purent jouir de la possibilité de témoigner de leur qualité.

Cependant, les Autrichiens, vainqueurs sur le champ de bataille, ne pouvaient se contenter de la modification d'un insigne. Le royaume d'Italie napoléonien n'existait plus, remplacé par le royaume de Lombardie et Vénétie. Il fallait marquer clairement cet événement car même si le Saint Empire romain germanique n'était pas ressuscité, la Maison d'Autriche retrouvait ses anciens domaines d'influence et sur le terrain, récupérait le territoire italien constitutif de son ancienne souveraineté. Aussi, le 1er janvier 1816, l'empereur d'Autriche, roi de Lombardie et Vénétie créa-t-il l'ordre impérial autrichien de la Couronne de fer, à tel point séparé de l'Ordre créé par Napoléon que les titulaires de ce dernier n'eurent aucun droit particulier à entrer dans l'institution nouvellement fondée. La grande maîtrise de l'ordre autrichien fut rattachée à la dignité d'Empereur d'Autriche et non à celle de roi de Lombardie et Vénétie, ce qui correspondait à la conception germanique de cette monarchie – les Saints Empereurs devenaient automatiquement rois d'Italie – opposée à la conception « nationale » napoléonienne de cet État, qui avait permis le rattachement de la grande maîtrise de l'ordre « italien » à la royauté d'Italie du Nord pensée en 1805 comme indépendante à terme de celle de la France.

L'insigne de l'ordre autrichien fut décrit dans les statuts comme identique à l'insigne de remplacement proposé aux membres de l'ancien ordre napoléonien mais le ruban, la plaque, le port des attributs et la dénomination des grades et dignités différèrent nettement de ceux prévus dans son Ordre par l'Empereur déchu. Ainsi, le ruban de l'ordre autrichien fut imaginé jaune liseré de bleu. Les « chevaliers de première classe » portèrent l'insigne attaché à un grand cordon passé en écharpe, assorti d'une plaque à quatre pointes formées de rayons. Les « chevaliers de la deuxième classe » le portèrent en cravate et les « chevaliers de la troisième classe » à la boutonnière. Les jours de cérémonie, les titulaires de l'Ordre revêtirent un costume caractéristique de leur grade, sur lequel les chevaliers de première classe posèrent un collier. Enfin, la plaque se trouva ornée au centre d'une Couronne de fer entourée de la légende Avita et aucta, ce qui signifiait « Reçue des ancêtres et augmentée »
Une page d'histoire tournée
            L'ancien ordre de la Couronne de fer, privé de grand maître, fut promis à la disparition. L'Autriche rentrait dans ses droits sur les ruines de l'Empire et du royaume d'Italie napoléonien. Comme pour mieux l'affirmer, en 1838, l'Empereur d'Autriche Ferdinand Ier se fit couronner roi de Lombardie et Vénétie avec une couronne fermée dans laquelle était enchâssée la Couronne de fer des rois lombards. Mais quelque vingt et un ans plus tard, l'Italie, unie et indépendante du nord au sud, forma un royaume dirigé par Victor-Emmanuel II qui s'empressa de fonder l'ordre de la Couronne d'Italie en 1866, année de la cession à l'État italien de la Vénétie, dernière province détenue par les Autrichiens dans la Péninsule. Il choisit comme insigne une croix portant au centre la Couronne de fer des rois lombards. Comme le conclut Hervé Pinoteau : « Le principal mérite de l'Empereur et roi n'est-il pas, dans le domaine des symboles, d'avoir hissé la Couronne de fer, même mal représentée, au rôle de couronne de toute l'Italie ? »

            L'ordre impérial autrichien de la Couronne de fer disparut avec l'Empire d'Autriche-Hongrie en 1918. L'ordre de la Couronne d'Italie sombra lui-même avec le royaume indépendant. Pour leur part, les chevaliers de l'ordre « napoléonien » de la Couronne de fer, s'éteignirent peu à peu, tandis que s'élevaient au firmament des symboles l'aigle impériale et la Couronne lombarde, transmuées en mythe par le génie d'une époque aux allures de mirage